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Debunking Mythes #2: Les merveilles de la 4e révolution industrielle

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Cet article ne représente pas la position de Extinction Rebellion, mais l'opinion d'un rebelle membre du groupe "Myth Debunkers for XR". Voir comment le groupe rédige et sélectionne les articles, sur notre forum communautaire : https://base.extinctionrebellion.be/t/myth-debunkers-for-xr-group-creation/787.

Myth 2: podcast
Écoutez ce podcast que nous avons créé pour cet article sur Soundcloud

Je m’appelle Capello, j’ai 40 ans et une formation en sciences géographiques. Mes activités professionnelles incluent de la consultance et de la recherche, dans le domaine de la pollution des sols et des eaux souterraines. Pour sauver ce qui peut encore l’être, je crois à l’amour du vivant, la pédagogie et… la rébellion.


Avec l’invention de la machine à vapeur, la première révolution industrielle (étalée sur l’ensemble du XIXe siècle, selon les pays et régions) fit basculer la société à dominante agraire et artisanale vers une société commerciale et industrielle. La seconde révolution industrielle fait référence à la maîtrise de l’électricité (fin XIXe siècle) et son utilisation dans la production industrielle. La troisième révolution industrielle est associée à l’avènement de l’informatique dans les années 1970, avec l’invention du microprocesseur. La troisième n’est pas achevée qu’on parle déjà d’une quatrième révolution industrielle. Il s’agirait de la numérisation de l’industrie (« industrie 4.0 »)… c’est-à-dire l’organisation des processus de production à l’aide des technologies du numérique (intelligence artificielle, etc.). Ceci permettrait notamment d’exploiter davantage les données issues du « Big data » (la collecte massive de données des usagers et consommateurs) et des plateformes numériques. La plupart des organisations internationales (OCDE, G20, Banque mondiale, Organisation Internationale du Travail…) en ont fait une priorité.

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Une vision linéaire étroite

Cette vision linéaire de quatre révolutions successives est quelque peu réductrice. Envisager cette évolution selon les transformations de la technoscience est plus conforme au processus historique.

Face à la complexité de l’évolution réelle des technosciences, le concept de « quatrième révolution industrielle » apparaît davantage comme un slogan accrocheur pour le patronat et les décideurs politiques, afin d’encourager les investissements. Dans ce film disponible en ligne, le Forum Économique Mondial convoque quantité d’experts pour expliquer ce que la 4e révolution industrielle apportera. Ceux-ciassurent que la 4erévolution industrielle vise, entre autres, à (i) dépasser la civilisation industrielle aujourd’hui basée sur le pétrole ; (ii) augmenter le niveau des revenus et améliorer la qualité de vie dans le monde entier ; (iii) se passer de croissance, mais maximiser le bien-être ; (iv) mettre à jour les inégalités afin qu’elles ne soient plus tolérables. On nous promet donc un peu de tout ! Examinons brièvement chacune de ces affirmations.

L’après-pétrole ?

Les promoteurs de la 4e révolution industrielle avancent parfois des chiffres spectaculaires sur les bénéfices escomptés de la numérisation de l’industrie en termes d’émissions de gaz à effet de serre. En réalité, les technologies numériques et les usines 4.0 sont toujours aussi dépendantes des énergies fossiles. En 2019, la production d’énergie pour alimenter les réseaux numériques a généré davantage d’émissions de CO2 que le secteur de l’aviation civile. En 2018, la planète comptait 7 milliards d’objets connectés en circulation et les estimations sont à 20 milliards pour 2020. Avec l’avènement de la 5G et de l’Internet des objets, la tendance va donc vers une augmentation des émissions de CO2 du secteur numérique. Outre la consommation électrique des « data centers » (lieux de stockage de données, regroupant un très grand nombre de serveurs et devant être refroidis en permanence) et machines et appareils branchés sur internet, les émissions de CO2 associées au numérique sont avant tout générées par la production de ces appareils électroniques. Prenons l’exemple d’une télévision de 40 pouces : sur un total de 374 kg d’équivalent CO2 d’empreinte carbone (fabrication, mise en forme, distribution, utilisation…), la production des matières premières et la fabrication des composants en représentent 299 kg, soit 80% du total. Comme pour tous les appareils électroniques, l’essentiel des impacts environnementaux et sociaux proviennent de l’extraction de métaux (dont certains terres rares) ainsi que d’autres matières minérales (sable, argile) ; extraction alimentée principalement par des énergies fossiles.

Mine de cuivre dans l’Utah (États-Unis). SIPA
Mine de cuivre dans l’Utah (États-Unis). SIPA (source)

Les annonces de baisse d’émissions de gaz à effet de serre qui résulteraient du passage au numérique se basent principalement sur des gains (souvent avérés) en efficacité énergétique. Toutefois, si un gain d’efficacité permet effectivement d’économiser de l’énergie pour une utilisation donnée d’un appareil donné, cela ne dit rien de la consommation énergétique totale (d’un secteur donné). Par exemple, la 5G est moins énergivore par gigabytes transmis que ses prédécesseuses 4G et 3G. Le problème est que la croissance de consommation de données est énorme et résulte en une facture énergétique plus lourde malgré le gain d’efficacité de la 5G. C’est ce qu’on appelle l’effet rebond. Par ailleurs, les approches qui se concentrent sur l’efficacité énergétique ne sont pas payantes à long terme, car elles ne remettent rien en cause et perpétuent un modèle fondamentalement non durable.

Augmenter les revenus ?

L’augmentation des revenus que provoquerait la 4e révolution industrielle est une affirmation assez floue. Elle se rapproche de la promesse de créations d’emplois avancée, par exemple, pour justifier l’adoption de la 5G. Il faut noter que de grosses incertitudes subsistent sur le nombre d’emplois qui seraient créés, détruits et transformés. Selon un rapport de 2018 de l’OCDE, la proportion d’emplois à haut risque d’automatisation en Belgique s’élève à environ 15%. Que l’on pense au degré d’automatisation de la distribution façon Amazon et de son impact sur le commerce physique, aux usines de montage de smartphones où quelques ingénieurs suffisent à surveiller les robots, ou aux magasins dépourvus de caissières ; et l’on peut craindre que la 4e révolution industrielle détruira plus d’emplois qu’elle n’en créera.

Se passer de croissance ?

Le financement et la finalité de la 4e révolution industrielle reposent sur la croissance économique. Il n’y a aucune chance qu’une société post-croissance ou une société maximisant le bien-être émerge de cette évolution industrielle voulue par le Forum Économique Mondial.

En fait, la plupart des innovations de l’ère du numérique reposent sur le capitalisme spéculatif : les emprunts levés par les entreprises reposent en grande partie sur la foi en la valorisation des développements technologiques futurs – la 5G par exemple. Il devient donc crucial de créer artificiellement les besoins qui justifient ces nouvelles technologies.

Or – et en se focalisant un instant sur le seul problème climatique – si certains pays ont pu ces dernières années combiner croissance économique et diminution des émissions de gaz à effet de serre, c’est essentiellement en raison d’une délocalisation des activités les plus polluantes. Au niveau global, il n’y a aucun indice de découplage entre croissance économique et émissions de CO2. De plus, même si les énergies renouvelables ont le vent en poupe, la logique qui prévaut est une logique d’empilement : les nouvelles sources d’énergie s’ajoutent au mix énergétique existant et ne remplacent aucunement les énergies fossiles. Il est donc à craindre qu’une croissance économique soutenue entraîne nécessairement, outre les impacts sociaux et environnementaux associés, un accroissement des émissions de gaz à effet de serre, aggravant par là-même le réchauffement de la planète.

Consommation globale d’énergie primaire.
Consommation globale d’énergie primaire.(source)

Mettre en lumière les inégalités ?

Ces dernières années, l’accroissement des inégalités est tel que cela devient un sérieux sujet d’inquiétude pour les élites politico-économiques, au point de menacer les bases “morales” du capitalisme, qui reposent sur la promesse d’une vie meilleure à une majorité de citoyens. À ce titre, il est difficile d’imaginer en quoi la 4e révolution industrielle pourrait inverser la tendance, ou permettrait de mieux dénoncer ces inégalités. Dans les économies dites développées, les évolutions récentes des plateformes numériques (type Uber, Deliveroo) se caractérisent surtout par une précarisation du statut des travailleurs, comme en attestent l’exemple récent d’Uber ayant licencié 3500 employés par vidéoconférence, ou l’émergence du marché des “microtravailleurs du clic”.

Au niveau global, le décalage semble abyssal entre le discours technophile de l’ « industrie 4.0 » et la place majoritaire de l’économie informelle (les petits boulots, la débrouille et le non-marchand) dans les pays du Sud. Si la révolution numérique doit avoir un impact sur l’économie de ces derniers, ce sera sans doute principalement par le biais de l’extraction de davantage de ressources (minérales et autres) qui permettent le développement de l’infrastructure numérique et la fabrication des objets de consommation qui y sont liés. Or, on sait que cet extractivisme s’accompagne généralement d’effets destructeurs pour les peuples, la biodiversité et les territoires ainsi « sacrifiés ». Les enfants congolais travaillant et mourant dans les mines pour en extraire le coltan de nos téléphones cellulaires et ordinateurs portables, sont un exemple parmi d’autres.

Un enfant sépare du minerai de la roche et du sable
Un enfant sépare du minerai de la roche et du sable près de la mine de Mudere, dans la région de Rubaya, en RDC, le 28 mai 2013. Photo : Getty Images/AFP/Junior D. Kannah (source)

Raconter une histoire

En fait, le passage le plus éclairant du film du Forum Économique Mondial mentionné plus haut se trouve dans cette citation : « L'Histoire nous dit qu’un changement de valeur est déclenché par la création d’une nouvelle histoire sur la façon dont nous voulons vivre. »

N’est-ce pas là un aveu éclairant de la part de ceux qui vantent la 4e révolution industrielle ? On nous raconte une nouvelle histoire (= la 4e révolution industrielle et ses merveilles promises), en nous dictant « la façon dont nous voulons vivre ». Si cette histoire est passée en boucle, nous finissons par trouver la 4e révolution industrielle « naturelle » ou « inévitable », ou même nous l’appelons de nos vœux. Cependant, à aucun moment il ne nous est demandé comment nous voulons vivre.

Une vision

Voulons-nous vraiment que nos frigos enregistrent nos réserves de nourriture afin de passer eux-mêmes la commande suivante au supermarché ? Voulons-nous être géolocalisés en permanence afin de se laisser suggérer où flâner ? Voulons-nous laisser surveiller nos interactions sociales (sous un prétexte sanitaire, par exemple…) ? Voulons-nous que tous les écrans sachent ce que nous regardons et avec qui, ce qui nous fait rire ou pleurer, qu’ils mesurent combien de millisecondes nous mettons à réagir à telle pub ? Voulons-nous vivre dans des villes ayant 1 million d’objets connectés au km² ? Et surtout, sommes-nous prêts à continuer à tuer pour ces objets ? Sommes-nous prêts à piller les ressources non-renouvelables à un rythme toujours plus effrenné pour les fabriquer ?

Et si, au lieu de cela, nous racontions nous-mêmes notre histoire ? N’est-il pas temps de prendre la parole, plutôt que de laisser les élites financières nous dicter le futur qu’elles imaginent pour nous ? Ne serait-il pas émancipateur decommencer par remplir nos cahiers de doléances, afin de dégager les orientations majeures que nous voulons donner à la société ? Ne devrions-nous pas nous lever pour dire ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas ?

Il est urgent de réinvestir le champ politique. Commençons par nous opposer à cette 4e révolution industrielle là où nous le pouvons (villes « intelligentes », 5G, école numérique…), pour rester humain dans nos métiers et dans nos vies. Réclamons l’abandon des développements technologiques que nous estimons nocifs. Constituons des assemblées citoyennes démocratiques, dotées d’un véritable pouvoir de décision sur ces questions.


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