Debunking Mythes #1: Les villes sont l’avenir

Cet article ne représente pas la position de Extinction Rebellion, mais l'opinion d'un rebelle membre du groupe "Myth Debunkers for XR". Voir comment le groupe rédige et sélectionne les articles, sur notre forum communautaire : https://base.extinctionrebellion.be/t/myth-debunkers-for-xr-group-creation/787.

Salut, mon pseudo de rebelle est Valsilver, j’ai 25 ans et une formation en Environnement et Gestion des Ressources. Je travaille actuellement dans les politiques environnementales. Passionné de permaculture et d’agroécologie, j’ai passé plus d’un an en Espagne sur la création d’un projet agroécologique, et j’ai l’intention de bientôt retourner mettre les mains dans la terre.
Temps de lecture: 15 minutes.
Les villes et le consumérisme
Nous vivons dans une société de consommation qui se dirige vers des villes toujours plus peuplées. Notre résilience, qui est la capacité à survivre et à s’adapter à de fortes perturbations de l’environnement, est au plus bas dans nos environnements urbains actuels, où les communautés utilisent le temps, l’espace et les ressources pour des activités qui ne sont pas directement liées à la production de nourriture ou à d’autres besoins fondamentaux pour son bien-être. Si demain les magasins cessaient de vendre de la nourriture (en raison d’une crise financière ou d’un effondrement écologique), le jour après les citoyens seraient feraient une véritable révolution dans les rues, mendiant et fouillant pour trouver de la nourriture et d’autres biens essentiels. À cet égard, la pandémie de Covid-19 nous rappelle à quel point vivre dans des villes denses et être dépendant des magasins rend notre vie si fragile : nous sommes dépendants de la nourriture (et des ressources) produite et extraite ailleurs, et dépendants de chaînes d’approvisionnement très imprévisibles. Notre sécurité alimentaire, qui actuellement repose principalement sur la disponibilité bon marché de combustibles fossiles et d’autres ressources limitées, ne tient qu’à un fil, et la situation risque de s’aggraver très rapidement... mais... pourquoi ?
Des faits bruts
1. Des ressources en péril : nous atteignons des pics de disponibilité/production en ce qui concerne un certain nombre de matériaux et d’éléments essentiels au système alimentaire actuel.
- Phosphore, produit à partir de roches phosphorées, est un engrais minéral essentiel pour l’agriculture industrielle. Au rythme de consommation actuel, nous aurons épuisé les réserves connues de phosphore d’ici à peu près 80 ans, mais la consommation et les coûts ne se maintiendront pas aux niveaux actuels.
- Eau : une étude récente publiée par le World Resource Institute a révélé que ¼ de la population mondiale (près de 2 milliards de personnes) est en “stress hydrique extrême”. La Belgique, célèbre pour son climat pluvieux, est le 23e pays dans ce classement de stress hydrique, juste après le Maroc. Les aquifères s’épuisent à une vitesse vertigineuse, et cela est principalement dû à notre système agricole actuel et aux villes densément peuplées.
- Énergie : L’ère de l’énergie bon marché et abondante touche à sa fin. Cela peut s’expliquer par le Taux de Retour Énergétique (TRE), qui quantifie l’énergie fournie à la société par rapport à celle qui est utilisée pour l’extraire. Si, en 1919, le TRE des États-Unis pour le pétrole et le gaz était égal à 1:1200 (avec un litre de pétrole, l’industrie pouvait extraire 1200 litres de pétrole), en 2007, ce rapport n’était plus que de 1:5. Le Dr Charles Hall, fondateur de la méthodologie TRE, et d’autres grands chercheurs dans ce domaine ont suggéré que, pour être durable, la civilisation moderne a besoin d’un TRE compris au minimum entre 1:7 et 1:14. Notre système énergétique est sur le point de s’effondrer.
2. Effondrement de la biodiversité : nous dépendons et faisons partie de ce réseau de vie extrêmement complexe appelé “biodiversité”. Malheureusement, nous détruisons et intoxiquons les habitats naturels depuis plus d’un siècle, ce qui a conduit à la sixième extinction massive de la vie sur notre planète (la cinquième étant celle des dinosaures). Les engrais et les pesticides synthétiques, le travail profond du sol et les monocultures annuelles ont décimé, entre autres, les populations de pollinisateurs et de vers de terre, et ont épuisé la matière organique des sols, ainsi que la vie bactérienne et fongique. Nos sols sont érodés et appauvris en vie et nutriments à un tel rythme que les Nations Unies estiment que d’ici 60 ans les terres agricoles mondiales seronttotalement incapables de fournir de la nourriture.
3. Changement climatique et événements extrêmes : en raison de leur imprévisibilité, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a largement sous-estimé les boucles de rétroaction (par exemple : la fonte du permafrost ou de la glace arctique) dans son fameux“Rapport 1,5°C”. De nombreuses études suggèrent que les événements extrêmes (méga-feux, canicules et sécheresses extrêmes, inondations côtières accélérées, etc.) pourraient très probablement devenir une réalité déjà pour notre génération, avec des conséquences dévastatrices sur notre système alimentaire vulnérable.
Combinons tous ces facteurs, et nous comprenons maintenant que la production alimentaire dans notre système agricole actuel, mondialisé et industriel, qu'il soit même “bio” ou “végétalien”, sera bientôt mise à genoux (dans 5, 10, 20 ans, qui sait), et il en résultera des famines dramatiques en Europe et dans le monde (=> Notez que les aliments biologiques certifiés ne s’affranchissent pas nécessairement des limites bio-physiques mentionnées ci-dessus, car leur production reste encore fortement basée sur l’utilisation de machines, la monoculture et les cultures annuelles, les pesticides - bien que “naturels” - et le travail du sol). Si des systèmes alimentaires fonctionnant avec des intrants externes réduits ou nuls (c’est-à-dire des systèmes autosuffisants) doivent émerger de cette situation, et ils le doivent, notre société changera d’une manière que nous n’avons plus connue depuis la révolution verte (qui a en fait vu la tendance inverse se produire).
J’ai donné un aperçu des problèmes, il est maintenant temps d’examiner les solutions.
Aménagement du territoire
Selon Ecology Action, un individu pourrait être autosuffisant en cultivant de manière bio-intensive +-400 m2, tout en suivant un régime végétarien strict et simple. Si nous faisons un raisonnement abstrait, l’espace disponible par personne à Bruxelles est de 130 m2 (surface totale divisée par sa population). Si l’on considère qu’une grande partie de la ville est couverte de routes et bâtiments ou ombragée par ces derniers, la surface cultivable disponible est bien inférieure à 130 m2/personne.
Bien qu’il soit nécessaire à ce stade de supprimer l’asphalte pour la culture ou de créer d'énormes ceintures vertes autour de la ville, nous serions encore loin de rendre Bruxelles, ou d’autres grandes villes, autosuffisantes : selon les données fournies par Ecology Action, il faudrait au moins 4 fois la surface de Bruxelles pour cultiver des aliments pour sa population (400m2 multiplié par la population). Se désinvestir des monstres de ciment inutiles, et mettre en place une migration progressive et planifiée vers les terres rurales semble donc la meilleurechose à faire avant que ça ne devienne sérieusement la merde. (Au fait, saviez-vous que le sable, essentiel pour la fabrication de ciment, est également en train de s'épuiser ?).
Une “armée” de fermiers régénérateurs
Les fermiers de l’UE sont vieux : 32 % des agriculteurs de l’UE ont plus de 65 ans. Cela signifie que, rien que pour remplacer la génération précédente, plus de 3 millions d’agriculteurs devront entrer en activité dans l’UE au cours des dix prochaines années. Et ce, uniquement pour maintenir la production avec le même système agricole. Toutefois, pour parvenir à un système agricole tournant le dos à l’agriculture industrielle, il ne suffit pas de remplacer ce que nous avons déjà, il faut aussi changer notre façon de produire la nourriture et d’envisager l’agriculture. Cela signifie nécessairement : moins ou pas de machines et d’automatisation (voir le paragraphe "Hautes technologies et agriculture ?"), et des parcelles de terre plus petites par agriculteur, ce qui veut dire plus de main-d’œuvre !
Pour illustrer cela, prenons un exemple de l’histoire moderne : Cuba, à cause de l’embargo des années 90, a été obligé de réduire de façon drastique sa dépendance aux combustibles fossiles (et donc de réduire sa consommation énergétique). Les machines lourdes et l’essence devenant trop chères, 15 à 25 % de la population cubaine a dû commencer à cultiver (des aliments de qualité) manuellement, pour remplacer ce que les machines et les produits chimiques synthétiques faisaient auparavant. En quelques années, non sans sacrifices, Cuba est devenu le centre d’une nouvelle révolution agricole, basée sur l’agroécologie et les systèmes d’autosuffisance. Que nous soyons d’accord ou non avec son régime politique, Cuba nous a montré ce qu’il advient d’une civilisation qui se trouve confronté à une pénurie d’énergie, et son expérience nous donne l’opportunité d’anticiper cette situation et construire une résilience à long terme, pour amortir les chocs auxquels nous serons confrontés.

Si la main d’œuvre nécessaire à Cuba pour passer d’un système alimentaire dépendant des fossiles à un système post-fossile était transposée en Europe (avec une meilleure planification et moins de perturbations, espérons-le), cela signifierait que dans l’UE, environ 100 millions de personnes seraient nécessaires pour la nouvelle révolution agricole ! Et voilà, le problème du chômage est également résolu.
Hautes technologies et agriculture ?
Dans un monde où l’énergie concentrée est beaucoup moins accessible (rappelez-vous le TRE), où les ressources et la biodiversité sont réduites et où le climat et les conditions météorologiques changent brusquement, des solutions de haute technologie à grande échelle (par exemple : robots intelligents et fermes automatisées) semblent être une très mauvaise idée. Bien que proposant certains avantages potentiels à court terme, les solutions globales de haute technologie restent fortement dépendantes de l’extraction de matériaux tels que les terres rares (qui, soit dit en passant, entraînera inévitablement la mort d’écosystèmes terrestres et océaniques), et d’un apport constant d’énergie bon marché et abondante.

L’illusion d’un “monde végétalien”
La fin de l’agriculture industrielle signifierait la diversification de la production, mais aussi l’intégration des animaux dans les écosystèmes agricoles. Les régimes végétaliens, végétariens et à faible teneur en viande seront importants dans de nombreux endroits, dès lors que nous commencerons à produire des aliments avec des apports externes faibles ou nuls. Oui. Cependant, penser qu’une future société post-énergies fossiles puisse se passer de l’utilisation, et donc de la consommation, d’animaux et de leurs “sous-produits” est une illusion. Les animaux peuvent en effet fournir, avec très peu ou pas d’intrants externes, des fonctionnalités essentielles pour l’autosuffisance et la résilience des écosystèmes: de l’énergie (biogaz provenant du fumier), des sous-produits durables et biodégradables (par exemple : cuir et laine), la prévention des incendies, la régénération rapide des sols (et donc leur résistance à la sécheresse,et capacité de stockage de carbone), la transformation des aliments pour animaux impropres à la consommation humaine en aliments nutritifs (des prairies pérennes pouvant fournir des aliments d'origine animale, la traction animale, et aussi, nous permettent de clore efficacement les cycles des nutriments.
Au lieu de plaider en faveur du véganisme, l’activisme environnemental devrait (dans ce contexte) se focaliser sur le passage rapide d’une société de consommation à une société de production. Une société qui préconise de se réapproprier les moyens d’un déplacement progressif mais rapide vers la campagne, de “produire” des forêts et des sols sains, de la nourriture, de l’énergie, un abri et des liens sociaux plus profonds! Il est clair qu’à ce stade, nos choix de consommation globalisés et pointilleux s'adapteront et se transformeront en fonction de ce que nos ressources locales/régionales, notre sol, notre communauté et notre climat peuvent offrir et, bien sûr, de ce que nous serons capables de produire nous-mêmes.

Une vision
Maintenant, imaginez que vous passiez d’une vie passée dans un bureau, penché sur un ordinateur toute la journée, à une vie en plein air, en contact avec des millions d’autres formes de vie. Imaginez notre campagne transformée, et nos villes (ehm...dépeuplées...ehm...dé-cimentées) débordant de vie, avec un sol capable de respirer et de nous offrire des aliments savoureux, variés et hautement nutritifs. La vie rurale a peut-être perdu de son attrait en raison de la solitude, des difficultés économiques et d’accès à la terre, ainsi qu’une agriculture industrielle qui a donné lieu à des paysages monotones et mono-chromatiques. Mais il n’est pas nécessaire qu’il ensoitainsi.

Et si des réseaux de communautés productives et autosuffisantes, rurales et urbaines pouvaient commencer à s'épanouir et collaborer ? Et si le travail devenait plus amusant, paisible, créatif et satisfaisant ; et si notre activité quotidienne était en communication profonde avec la terre et les gens ? Et si nous créions des systèmes alimentaires et des communautés résilientes, pérennes et régénératrices ? Et si nous nous rebellions pour rendre cette vision possible ?
Elle peut être réalisée, doit être réalisée et le serait probablement de toute façon avec le temps (bien qu’au travers des événements incontrôlables et très “malheureux”).
Qu’attendons-nous ?
#JointheRebellion
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Lectures supplémentaires :
- (FR) Nourrir l’Europe en Temps de Crise (2013)
- (EN) 50 Million Farmers (2006)
- (EN) Thinking of food as a commons (2017)
À visionner (n’oubliez pas de réduire la qualité de définition de la vidéo):