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Debunking myths #3: Homo hominis lupus est

Raisin sec - pleine conscience

Cet article ne représente pas la position de Extinction Rebellion, mais l'opinion d'une rebelle membre du groupe "Myth Debunkers for XR". Voir comment le groupe rédige et sélectionne les articles, sur notre forum communautaire : https://base.extinctionrebellion.be/t/myth-debunkers-for-xr-group-creation/787.

Myth 3: podcast
Écoutez ce podcast que nous avons créé pour cet article sur Soundcloud

Je suis Mathilde, membre d’Extinction Rebellion, doctoresse en sciences des matériaux et compositrice de musique électronique. Je suis animée par la préservation de la grâce et de l'émerveillement, qui se traduisent parfois par la lutte pour la sauvegarde du vivant. Je crois à la puissance et la nécessité des transformations de l'imaginaire dans les transitions en cours, notamment par l'art et la percolation des idées entre des domaines en apparence disjoints.


L'homme est un loup pour l'homme, la destruction de la planète est dans nos gènes, et nous n'y pouvons rien...

L'homme est-il vraiment un loup pour l'homme ?

Cette expression, que l'on doit à Hobbes, philosophe du 17e siècle, est aujourd'hui si populaire qu'elle légitime silencieusement bien des choses, de l'individualisme, à la destruction de la planète, aux comportements agressifs en passant par une répression forte et nécessaire de l'Etat[1].

Derrière cette idée, une justification neurobiologique : nous sommes des animaux programmés génétiquement pour nous dominer et piller notre planète.

Pour comprendre pourquoi nous sirotons un café en sifflotant alors que nous sommes assis sur une bombe[2], et ce que nous pouvons y faire, il est donc intéressant de se plonger dans les forces contraires qui s'affrontent dans notre cerveau et semblent incompatibles à première vue : d'un coté la maximisation du plaisir à court-terme et le renforcement du comportement de domination, et de l'autre la survie de l'espèce, incertaine face à la catastrophe écologique et climatique en cours.

Je vous propose de jeter un œil à ces considérations neuroscientifiques afin de souligner leurs limitations, et de proposer un éclairage complémentaire et nécessaire.

Cet article est écrit depuis un pays occidental riche et fait référence à l'abondance qui y règne et à celleux qui en bénéficient. Je suis toutefois consciente que cette situation est loin d'être mondiale ou même vécue par tousses.

A l'époque où la survie de l'espèce dépendait de notre capacité à dominer, manger et se reproduire

Le striatum est le centre de l'incitation et de l'apprentissage. La dopamine est une hormone, souvent qualifiée d’hormone de la récompense, et elle permet de renforcer les circuits de l'apprentissage.

Un comportement vertueux (qui apporte à l’exécutant.e un avantage par rapport aux autres individus, comme par exemple trouver un morceau de fromage dans un labyrinthe) se traduit par la libération d'une certaine quantité de dopamine. C'est un avantage pour la survie, donc il faut renforcer l'apprentissage du parcours qui a mené jusqu'au fromage. Toutes les espèces vivantes cherchant à survivre, chaque action allant dans ce sens est encouragée par la récompense.

Un avantage évolutif implique un renforcement du comportement.

Or quels sont les comportements qui représentent un avantage évolutif particulièrement intéressant ? Se reproduire, dominer l'autre, engranger des informations sur notre environnement, et manger.
En un mot, notre striatum nous murmure « Va, mange autant que tu peux car la nourriture n'est pas donnée dans ce monde. Va, copule tant que tu peux car plus ta descendance sera nombreuse, plus tu auras de chances de transmettre tes gênes à la postérité. Va, montre-toi plus important que les autres, car c'est ainsi que tu t'assureras une situation qui te garantira des ressources matérielles et des partenaires sexuels. [...] Et fais cela plus que les autres, car sinon ce sont tes gênes qui seront submergés par ceux de tes concurrents. » [3]

L'exemple du petit poisson nommé Burtoni, de la famille des cichlidés, peut nous éclairer sur le renforcement de la domination : après une victoire sur un adversaire, il se met à libérer une hormone qui stimule ses organes sexuels. Les testicules grossissent et produisent des spermatozoïdes à un rythme accru. Chez le vaincu l'inverse se produit. [4]

Dans cet exemple, il semble clair que les individus qui dominent se reproduisent plus vite. C'est donc un avantage évolutif de dominer.

Le striatum. Le vrai (et seul) fautif de la destruction de la planète ?

Les envies de statut social, de sexe, de nourriture, sont-elles dommageables en soi ? Quel problème, par exemple, à faire l'amour 40 fois par jour entre adultes consentants ?

Instrumentalisation des aspirations dans un contexte marchand capitaliste

Voila où le bât blesse.

D'une part l’aspiration à dominer pose un problème en soi dans un contexte social puisqu'elle nourrit le système délétère de valeurs dans lequel nous vivons : les hommes dominent les femmes ; les blancs dominent les racisé.e.s ; les riches, les pauvres ; les cis, les non-cis ; les hétéros, les non-hétéros ; les adultes, les enfants ; les humains, les non-humains…

D’autre part, le désir de dominer l'autre se traduit également par la possession. Je suis plus fort, je vaux mieux que toi parce que j'ai plus que toi.

Et cela devient délétère dans un contexte où les objets ne sortent pas d'un chapeau magique, mais sont fabriqués à partir de ressources dont l'extraction et la transformation empoisonnent le vivant. La surconsommation et la surproduction sont à l'origine d'un effondrement irréversible des écosystèmes.

Le dommage ne vient donc pas (uniquement) des aspirations en elles-mêmes, il vient de la rencontre entre ces milliards de cerveaux en attente de plus (de sexe, de statut social, de nourriture, d'information) et d'un appareil industriel et politique capable pour la première fois de fournir à chacun.e dix paires de chaussures, trois ordinateurs, du poulet frit ou du porno à volonté. Non seulement capable, mais qui encourage et monétise ces désirs. Tout cela en prenant soin d'occulter les conditions de fabrication.

D'ailleurs, nous ne voulons pas simplement avoir de l'argent, une montre ou une voiture, nous voulons LA nouvelle voiture que notre voisin.e n'a pas, ce que le vice président de General Motors disait déjà dans les années 20 : « la clef de la prospérité économique, c'est la création d'une insatisfaction organisée ».[5]

Insatisfaction facilitée par certaines fonctionnalités du cerveau : une étude montre que les circuits du plaisir s'activent chez les joueur.euse.s de monopoly lorsqu'iels reçoivent plus d'argent que leurs adversaires[6], une autre montre que ce n'est pas tant le salaire absolu qui compte que le salaire relatif : nous voulons être un peu au-dessus des autres.[7]

Nous sommes donc bien programmé.e.s (entre autre) pour nous comparer aux autres et vouloir avoir plus qu'elleux. Et ce qui est étonnant, c’est qu'au lieu d’aboutir à une différenciation marquée entre les individus, ou à une société où l'excentricité serait reine, cela a tendance plutôt à homogénéiser les comportements selon les revenus (consommation ou culture de masse). En cherchant à être au-dessus du voisin.e, en on finit par être un peu pareil que cellui d’en face...

Ces fonctionnalités dont dépendait notre survie hier (se nourrir, se reproduire, dominer) évoluent par mutation génétique sur des échelles de temps bien plus grandes que celles qui concernent les changements de société.

Ainsi, si nous avions intérêt à nous reproduire et manger dès que nous le pouvions il y a 200 000 ans, dans un contexte où l'espèce humaine ne dominait pas les autres, ce n'est plus un avantage aujourd’hui.

Alors, en attendant les prochaines mutations, rien à faire pour empêcher l'extinction ?

Quand notre striatum fait (aussi) le bien

Une des premières nuances que nous devons apporter à ce portrait peu reluisant de notre striatum, c'est que celui-ci nous permet aussi de belles choses : l'ambition de se hisser au dessus des autres constitue par exemple en un moteur puissant de transformation et de création, qui, s'il convient de ne pas l'ériger en valeur cardinale, est tout de même en partie à l'origine de certaines choses gracieuses de ce monde, comme, au hasard le titre Blue Horizon de Sydney Bechet.

Soulignons également que certains comportements « vertueux » aussi sont encouragés, comme l'altruisme et le partage.[8]

Nous pouvons apprendre à valoriser d'autres comportements, nous pouvons créer des nouvelles normes sociales contagieuses. Prendre le striatum à son propre jeu.

La question est de savoir si nous avons envie de jouer ce jeu : quand bien même le nouveau snobisme serait d'être altruiste et respectueux de l'environnement et non plus posséder un 4x4, on peut être à peu près sur.e.s que cela ne s'attaquera pas aux problèmes liés à l'existence des dominations : cellui qui roule à vélo pourra mépriser à loisir cellui qui roule en 4x4, et les schémas de domination s'en retrouveront simplement translatés. Autres acteur.rice.s, mêmes règles du jeu.

Le cerveau ne se résume pas au striatum. Et si on allait faire un tour du cote du cortex préfrontal ?

Sydney Bechet, clarinettiste jazz. L'envie de domination sociale n'est-elle pas une motivation importante pour nombre d'artistes ?

Contre l'impatience, la gratification différée

Dans le monde animal, il y a généralement un avantage en termes de survie à saisir immédiatement toute occasion qui se présente. [9]

Chez l'espèce humaine, nous donnons également souvent la priorité au présent sur l'avenir. On a remarqué que lorsqu'une récompense future est annoncée, la décharge de dopamine est proportionnelle au délai qui sépare l'annonce de la récompense de sa venue.[10]

Une des explications derrière cette priorité pourrait résider dans l'incertitude de l’avenir : quand on ne sait pas de quoi sera fait demain (ou dans 50 ans), pourquoi se priver ou pourquoi changer ? Si je suis directrice d’une plateforme petroliere, pourquoi m'arrêter de forer puisque dans 50 ans je ne serai plus la ? Mes enfants ? Iels auront de l'argent pour vivre à l'abri dans des maisons climatisées.

Cette relation au temps, cette immédiateté, fait partie de nos déterminismes biologiques. Mais, la encore, elle est instrumentalisée : les délais aujourd'hui pour obtenir quoique ce soit visent à être réduits au maximum. On le voit dans l'essor des services de livraison rapide, abonnements premium, des plats préparés, le format des informations (post facebook, twitter), le développement des technologies qui visent à nous offrir plus et plus vite comme la 5G.

Nos ressources mentales d'attente s'anéantissent, et notre dépendance à l'instantanéité s'accentue de génération en génération.[11] A l'échelle de la société, cela renforce les inégalités sociales et devient la cause de problèmes de santé publique. Les comportements compulsifs peuvent entraîner obésité, IST, paupérisation, dépendance, détresse psychologique...

Attendre ou s'ennuyer est devenu un symbole de la médiocrité, de l'échec, de passer à coté de quelque chose. L'émergence du « trou » en est une autre preuve : combien de fois un.e ami.e m’appelle (ou inversement) pour me demander si je suis disponible plus tôt, pour lui éviter d’avoir un « trou » dans son après-midi ? L'imprévu, le moment non « plein », et par extension une certaine dimension du chaos, sont à éviter à tout prix. Alors que c'est souvent dans ces moments flottants que peuvent émerger les choses qui nous bousculent, nous enchantent, que l'on raconte avec enthousiasme.

Alors, impatient.e de lire comment contourner l'appel du maintenant ?

Peut-être connaissez-vous la fameuse étude du marshmallow. En 1972, le psychologue Walter Mishel, à Stanford, propose à des enfants soit d'avoir un marshmallow maintenant, soit deux dans 10 minutes.

Cette étude repose sur ce qu'on appelle la gratification différée, dans lequel le cortex frontal, siège de la volonté et de la planification, permet de garder une idée présente à la conscience pendant des minutes, jours, mois, années. Il intervient par exemple lorsqu'il existe un bénéfice supérieur à refuser un plaisir immédiat. C’est le centre de la planification, une véritable machine à voyager dans le futur.

Comme dans l'expérience des marshmallow, nous faisons souvent au cours de notre vie des choses parce que nous croyons en l'avantage à long terme et non à court terme de notre comportement. C'est pour cela que l'on étudie : faire des études nous offre un avantage différé et nous donnera a priori accès à une vie plus agréable.

Cette faculté (d'opter pour la gratification différée) n’est pas innée et on peut bel et bien l'entraîner : Jiska Peer a mesuré que le faisceau frontostriatal des enfants qui optent pour l'option différée est plus épais.[12]

Nous avons donc la possibilité de développer cette capacité, notamment pendant l'enfance et l'adolescence, lorsque les connexions entre le cortex frontal et le striatum peuvent se renforcer.[13] L'entraînement permet au futur de prendre l'ascendant sur le présent.

Prendre le striatum à son propre jeu, faire rentrer le cortex dans l'équation… et la conscience, qu'en dit-elle ?

Contre l'impulsion, la pleine conscience

Je prends un grain de raisin dans la main. Je passe plusieurs minutes à l'observer, apercevoir ses reflets, son aspect, les nuances de couleur, l'écouter, le passer sur les lèvres. Je le place dans ma bouche, sans le croquer, le sens avec sa langue, en restant attentif à ce que ça me fait.

Quand enfin je le croque, le plaisir et la satisfaction de mordre est décuplée d'une façon tout à fait jouissive.

Viser moins, mais mieux

La pleine conscience, la conscientisation du geste et du goût, s'est révélée être une thérapie de traitement de l’obésité qui a fait ses preuves : il s'agit de reprendre contrôle de comportements compulsifs, et de lutter contre le biais de dévalorisation temporelle.[14]

Et face aux injonctions à consommer, à se faire un week-end à Madrid, à accepter un emploi à la morale douteuse, nous sommes comme une personne compulsive : tout, tout de suite, peu importe les conséquences.

Mais grâce à la conscience, nous sommes capable de profiter mieux, d'avoir besoin de moins, de réévaluer ce qui nous satisfait, de prendre le temps.

La conscience se heurte a des injonctions marchandes fortes. Il y a une dépossession de la sensation au profit de la possession (d'objets ou d’expériences), pour le profit de certain.e.s : ainsi, l'été, ce n'est plus le vent et le soleil sur la peau, c’est le soleil des Maldives (499,9 € AR 5 nuits à l'hôtel). Le jogging ce n'est plus courir, c'est courir avec des baskets Adidas. Le travail effectué par le marketing, bien raconté dans Storytelling de C. Salmon, c'est remplacer la sensation par l'expérience. Je n'achète plus des Nike, j'achète les chaussures que portent Sofia, une jeune femme battante de Molenbeek. Je ne suis plus une joggeuse, je deviens moi aussi une battante qui a eu un parcours épineux.

De-zoomons un peu encore le tableau. Striatum, cortex, conscience. Et la relation aux autres dans tout ça ?

La satisfaction procurée par la dégustation de ce grain de raisin peut être décuplée par la conscientisation de son aspect, odeur, son, texture.

L'entraide et la symbiodiversité – d'autres lois de la jungle

Ce titre est proche de celui d'un livre écrit par Pablo Servigne et Gauthier Chapelle. Ils y soutiennent que chez bien des espèces, ceux qui survivent dans des conditions difficiles ne sont pas les plus forts, mais les plus solidaires.

Cette théorie reprend celle de Pierre Kropotkine, qui va chercher des exemples chez différentes espèces : « celles qui savent le mieux comment s'unir et éviter la concurrence ont les meilleures chances de survie et de développement progressif ultérieur ».[15]

On peut également citer les travaux de William Muir sur le « modèle de la super-poule », dans laquelle l'isolement des individus les plus compétitifs (en l'occurrence, dans la ponte d'œufs) a des effets négatifs sur la dynamique de groupe (les individus s'agressent et s'entre-tuent), et peut aller à l'encontre de l'augmentation de la productivité.[16]

Cette observation apporte une opposition claire au darwinisme social, qui vise à transposer la théorie de l'évolution aux sociétés humaines : les plus forts survivront, les plus faibles seront éliminés. En effet, c'est dans un fragile ratio compétition//coopération que se trouve une forme équilibre non destructrice pour la société dans son ensemble : c'est ce qu'on appelle la symbiodiversité. Les sociétés qui ont les plus grandes chances de survie et de développement ne sont pas celles qui n'ont que des éléments ultra-performants.

D'ailleurs, la stratégie d'assembler et d'isoler les éléments les plus performants est répandue dans le monde des grandes entreprises (Amazon, General Electrics, Microsoft...) et, sans surprise … dans le monde du football ! Ces stratégies particulièrement nocives pour les employé.e.s ne leur sont pas non plus bénéfiques : même le Real Madrid se porte moins bien quand y sont réunis les footballers les plus payés ![17]

Sergio Ramos, défenseur au Real Madrid, en flag d'anti-jeu. Rassembler les joueurs les mieux payés, une bonne idée ?

Donc, nous humain.e.s, sommes des animaux qui individuellement sommes encouragé.e.s par nos déterminismes biologiques à manger, nous reproduire et dominer. Mais l'entraide reste au centre des stratégies inscrites dans nos gênes sur lesquelles repose la survie de notre espèce. L'homme n'est donc pas un loup pour l'homme, et surtout en situation de crise.

Si nous n'étions déterminés que par notre cerveau, et que celui-ci nous conduisait à nuire aux autres et à l'environnement, alors dans ce cas pourquoi loin du modèle unique occidental dominant, trouverait-on des sociétés qui cohabitent de manière perenne avec leur environnement[18] ?

La biologie comportementale pure ça n'existe pas

Les explications biologiques permettent d'appréhender des phénomènes de domination de l'autre, de consommation et de destruction de la planète. La connaissance de ces déterminismes biologiques est pour moi une étape nécessaire pour pouvoir s'en libérer, comme le défend Henri Laborit dans L'homme imaginant, mais tout comme l'est celle de nos déterminismes sociaux. Nos interactions, nos structures impactent notre cerveau, et inversement.

Si les sciences sociales s'intéressent moins à l’origine de la domination qu'à ses manifestations, ses structures et les outils qui les maintiennent en place, elles offrent aussi des explications et des pistes de réflexions pour refuser et contourner la simple programmation des individus à détruire leur environnement.

Nous sommes au moins autant un tas de gênes sous l'emprise de notre striatum et du renforcement des circuits de la récompense que des individus qui naissons au sein de structures intrinsèquement et profondément racistes, sexistes, transphobes, homophobes, spécistes, qui encouragent[19] l'individualisme, favorisent la peur et le rejet de ce qu'on ne connaît pas.

On pourrait citer des milliers d'exemples qui vont dans ce sens, le traitement de l'islam par la plupart des médias français où l'on demande aux reporters de « mettre en scène plutôt les peurs que les réalités »[20], le fait qu'aux USA un homme noir ait 21 fois plus de chance d'être tué par la police qu'un homme blanc,[21] ou encore que 53 % des films produits scénarisés par des hommes en 1995 et 2005 ne passent pas le test de Bechdel.[22]

On pourrait aussi citer l'idée répandue que « Chacun pense surtout à ses propres intérêts, presque jamais au bien commun »[23] , déjà en vogue au IVe siècle avant J.C. Bien que l'intérêt personnel soit un moteur puissant comme on l'a dit plus tôt, l'idée que celui-ci et le bien commun soient deux directions orthogonales rentre pour moi dans la catégorie des idéologies, non des vérités absolues.[24]

Plutôt que de chercher qui de l'œuf ou de la poule, qui de la nature ou de la culture, concentrons nos efforts vers l'identification et la transformation (ou destruction) des plumes toxiques qui nous étouffent.

Reprendre conscience … et le pouvoir

Toutes ces clefs de compréhension, et de réponses à l'échelle individuelle peuvent devenir des « poids amis » dans la balance du coté de la justice sociale et de la protection de l'environnement. Apprenons donc à savourer le grain de raisin, valorisons la gratification différée.

Toutefois, la dissonance cognitive (c'est-à-dire lorsque les croyances dépendent du contexte) fait des merveilles. Même si le PDG de Total savoure son grain de raisin, il serait probablement capable entre deux séances de yoga d'apposer sa signature sur un permis d'exploration.

Donc nous aurions beau savoir résister à l’appel du « tout, tout de suite », entraîner notre conscience, notre cortex frontal, et ceux de nos enfants, jouer sur la coopération, si nous continuons à vivre dans un monde qui regorge d'incitations à l'instantanée, si les lobbys pétroliers payent un milliard de dollars contre la politique climatique[25], ça risque de ne pas faire le poids.

Parallèlement à ces leviers individuels, dont l’impact me semble non négligeable, la distribution du pouvoir se doit d'être complètement réévaluée, par exemple par la création d'assemblées citoyennes. Les structures étatiques et économiques doivent être modifiées en profondeur par l'action collective. «Pour agir, les gens doivent se mettre ensemble ».[26]

« Comment parvenir à tout ca ? » est une question délicate. Je vous donnerai succinctement ma réponse, une parmi tant d'autres aussi valables : désobéir et imaginer.

Dire non. Refuser. Se lever et se barrer. Désobéir à l'ordre qui n'est plus du côté du vivant. Occuper. Utiliser puis renoncer à ses privilèges pour qu'il y en ait de moins en moins. Refuser le récit unique.

Rêver. Entraîner son œil à voir la vie qui pousse parmi les ruines et s'en inspirer. Apercevoir la grâce dans l'indéterminé. Modifier en profondeur le vocabulaire : les utopistes d'hier sont les réalistes d'aujourd’hui.

Broder à plusieurs ici et maintenant le doux tapis sur lequel on souhaite poser le pied demain.


Lectures

  • H. Laborit, L'homme imaginant
  • S. Bohler, Le bug humain
  • A. L. Tsing, Le champignon de la fin du monde
  • P. Servigne et G. Chapelle, L'entraide, autre loi de la jungle
  • J.E. Scott, Petit éloge de l'anarchie
  • Saul Alinsky, Être radical : manuel pragmatique pour radicaux réalistes
  • C. Salmon, Storytelling

Références

[1] Rutger Bregman, Humankind, a hopeful history

[2] Cette phrase est issue du livre Le bug humain, de Sebastien Bohler, qui a été la source principale d’information et d’inspiration pour cet article.

[3] Sebastien Bohler, Le Bug Humain, p44

[4] R.D. Fernald et K. Maruska, Social information changes the brain, Proceedings on the National Academy of Sciences of the USA, vol 109, pp 17194-17199

[5] J. Rifkin, La fin du travail, la decouverte, 2006

[6] N. Bault, M. Joffily, A. Rustidhini, G. Coricelli, Medial prefrontal cortex and striatum mediate the influence of social comparison on the decision process, Proceedings on the National Academy of Sciences of the USA, vol 108, pp 16044-16049, 2011

[7] F. cheung, R.E. Lucas, Income inequality is associated with stronger social comparison effects : the effect of relative income on life satisfaction, Journal of Personality and Social Psychology, vol 110, pp332-341, 2016

[8] A Soutschek, C.J. Burke, A.R. Beharelle, R. Schreiber, S.c. Weber, I.I. Karipidis J. ten Velden, B. Weber, H. Haker, T. Kalenscher, P.N. Tobler, The dopaminergic reward system underpins gender differecens in social preferences, Nature Human Behavior, vol. 1, pp 819-8279, 2017.

[9] J. Stevens et D. Stephens « The adaptive nature of impulsivity » in Impulsivity : the behavorial and neurological science of discountin, sous la direction de gregory J. Madden and Warren K. Bickel (Washington DC : American Psychological Association, 2010), pp361-388, 2010

[10] W. Schultz, « dopamine reward prediction error coding », Dialogues in Clinic Neuroscience, vol 18, pp 23-32, 2016

[11] L. Stanney, Because we can : a study of millennial impatience and the rise of the next day delivery, dissertation submitted in partial fulfilment of the requirements of the degree BA(Hons) New Media, School of Media and Communication, University of Leeds, 2017

[12] J.S. Peper, R.C. W. Mandl, B.R. Braams, E. de Water, A.C. Hijboer, P. Cedric, M.p. Koolschijn, E.A. Crone, Delay discounting and frontostriatal Fiber tracts : a combined DTI and MTR study on impulsive choices in healthy young adults, Cerebral Cortex, vol 23, pp 1695-1702, 2013

[13] H. Wake, PR Lee, RD Fields, « « contrôle of local protein synthesis and initial events in myelination by action potentials », science, vol 333, pp 1647-1651, 2011

[14] A. Ruffault, S. Czernichow, M. Hagger, M. Ferrand, N. Erichot, C. Carette, E. Boujut, C. Flahault, The effects of mindfulness trianing on weight-loss and health-related behaviours in adults with overweight and obsesity : a systematic review and meta analysis, Obesity Research and Clinical Practice, vol 11, pp 90-111, 2016

[15] P. Kropotkine, L’entraide, un facteur d’évolution

[16] Muir, W. M. (2013). Genetics and the Behaviour of Chickens: Welfare and Productivity. In Genetics and the Behaviour of Domestic Animals. 2 (2nd ed.). pp. 1–30

[17] https://evonomics.com/why-stacked-ranking-is-the-destructive-employer-practice/

[18] https://reporterre.net/Philippe-Descola-La-nature-ca-n-existe-pas

[19] La question de l’intentionnalité de cet encouragement, souvent soulevée, me paraît écranter l’effet que l’on cherche à décrire ici, tout comme l’objection qui consiste à ne pas considérer la propriété systémique de ces oppressions parce que leurs mécanismes ne sont pas totalement connus.

[20] https://www.scienceshumaines.com/comment-les-medias-francais-voient-l-islam_fr_4780.html

[21] https://www.propublica.org/article/deadly-force-in-black-and-white

[22] Ce test qualifie les films dans lesquels Il y a au moins deux femmes nommées (nom/prénom) dans l’œuvre, qui parlent ensemble, et qui parlent de quelque chose qui est sans rapport avec un homme.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Test_de_Bechdel#:~:text=Le%20test%20de%20Bechdel%20est,'intention%20d'Alison%20Bechdel.

[23] Aristote, Politique

[24] Je manque de temps pour approfondir ce point qui mériterait un article à lui seul. Il me semble évident que, d’un point de vue caricatural, celleux qui auraient le plus à perdre dans la maximisation du bien commun sont la minorité dominante. Beaucoup de mesures qui favoriseraient le bien commun sont traitées (parce qu’analysées à travers un spectre réducteur) comme étant en directe contradiction avec des intérêts personnels.

[25] https://reporterre.net/1-milliard-de-depenses-en-lobbying-par-les-petroliers-contre-la-poiltique

[26] Saul Alinsky, Être radical : manuel pragmatique pour radicaux réalistes

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